Réflexions sur la gratuité des transports publics

une grande partie de ce billet est issu d’un rapport du sénat (1)

Pour aborder la gratuité des transports publics

Il y a des interrogations indissociables

Que produire ? Que consommer ? Quelle mobilité ?

Quelle est le véritable impact sur l’abandon de la voiture ?

Et si la solution était plutôt dans moins de déplacement ?

Préambule

Les réflexions qui suivent en italique sont issues d’une table ronde (2) sur la gratuité

La gratuité au sens large

« la gratuité joue un rôle fondamental dans nos existences, d’autant plus essentiel peut-être que la place qu’occupe le marché dans le fonctionnement de l’économie n’a cessé de croître au cours des dernières décennies. Or, « quelque chose dont on dit qu’il n’a pas de prix n’est pas évaluable qualitativement et monétairement, mais est le plus important ». « Car c’est précisément cette gratuité qui permet de nourrir le lien social : « nous savons, nous humains, que nous ne pouvons vivre sans espace public commun. Pour constituer la société, nous avons tous besoin d’un espace public. Celui-ci, qui a un coût, est d’accès gratuit ». » (6)

La gratuité et la mobilité

Le sénateur Gondard informe que : « Lors de la même table ronde, Maxime Huré soulignait ainsi que « ce qui rend la gratuité spécifique, c’est l’universalité qu’elle confère au service public. Les usagers ne sont plus segmentés. La mesure s’appuie sur une valeur de simplicité d’accès ». Jean-Louis Sagot-Duvauroux (6) relevait pour sa part que « dans un bus gratuit, c’est l’égalité pour tous, le fils du notaire comme celui du chômeur. Il existe peu d’endroits qui offrent l’égalité parfaite. Cette question est liée à notre idée de la République. C’est un choix de société ». »

Sans l’idée de la république la réflexion est encore plus pertinente.

« La gratuité est une vraie bonne idée mais elle mérite mieux que cela ». En clair, elle ne doit pas constituer un critère purement social, ni purement environnemental mais conduire à s’interroger sur la finalité de la mobilité » Michel Pouzol Autrement dit pourquoi se déplace-t-on ?

Porter à votre connaissance un énième écrit sur les enjeux de la « gratuité » des transports collectifs est une gageure . Ces trois extraits d’une table ronde me semblent un nouvel angle d’approche, mais posent quand même quelques questions, toutes aussi pertinentes que l’aspect écologique mais nous y reviendrons quand même juste pour se rafraîchir la mémoire .

Motivation écologique pour obtenir la gratuité des transports publics

« … Jérôme Baloge,le maire de Niort, considérait que «  La circulation de bus vides ou très peu remplis est en outre source de pollution inutile », « ainsi les bus de l’agglomération, avant le passage à la gratuité ,était de «  l’argent public transformé en CO2 ».

L’argument de limiter ,réduire l’utilisation de la voiture par la gratuité des transports date d’une quinzaine d’années. Il est devenu de plus en plus important pour réduire la pollution de l’air, lutter contre le changement climatique et limiter les maladies respiratoires que cela entraîne.Des mesures de restriction de la circulation ont été imposées pour lutter contre la pollution sensibilisant la population à ce problème.Il y a urgence à agir on estime les décès dus à cette cause entre 48 000 à 67 000 cela est la deuxième cause évitable de mortalité en France.

Mais cet argument important est il efficace et correspond-t-il à la réalité ?

Dans la réalité cet argument est insuffisant si l’on en croit le rapport du sénat déjà cité

En effet « Dans les trois villes étudiées par Wojciech Klebowski – Aubagne, Tallinn et Chengdu (dans une moindre mesure) -, la gratuité ne permet pas de remettre en cause la prédominance de la voiture et n’est pas mise en œuvre comme moyen de limitation de la congestion automobile. En d’autres termes, son ambition est d’accompagner plus que de remplacer les autres mesures destinées à limiter le trafic routier (instauration de péages urbains, restriction du stationnement, diminution des infrastructures routières). Lors de la table ronde de la mission, Christophe Jemelin confirmait cette constatation : « À elle seule, la gratuité paraît insuffisante pour parvenir à un véritable report modal. Il faut améliorer l’offre et réfléchir à l’organisation du territoire concerné. Si vous avez un centre-ville qui dépérit et que vous cherchez à le stimuler grâce à la gratuité des transports publics mais que dans le même temps vous avez inauguré deux ans plus tôt une gigantesque zone commerciale en périphérie, les transports publics, même gratuits, demeureront impuissants ». En outre, l’évolution de la part modale à Tallinn après le passage à la gratuité intégrale continue à faire débat. En 2013, année de l’introduction de la gratuité, la part modale des transports en commun passe de 55 % à 62 %, celle de la voiture tombe de 32 % à 29 %. Mais, dès l’année suivante, la part des transports en commun est retombée à 53 % et elle des voitures remontée à 33 %. Toutefois dans ces trois villes, il est observé un faible report modal des voitures particulières vers les transports collectifs.

Il apparaît dans ces constatations que la gratuit » des transports publics introduit des biais. La gratuité doit elle servir à se rendre dans les zones du centre ville ou de la périphérie pour continuer à consommer ? Est-ce cela que l’on veut ?

A cela des solutions consommer moins , mieux et local au plus près du consommateur peuvent être créées. Et là cela engendre la réflexion sur le transport des marchandises. On tourne en rond sauf qu’au lieu que cent personnes aillent aller acheter un kg de carotte à l’autre bout de la ville les cent kg sont livrés proche des consommateurs et ce ne sont pas cent personnes qui se déplacent mais un seul livreur. La carotte a été préférée car plus essentielle que le smartphone mais les exemples futiles sont innombrables. D’ailleurs à ce propos les boutiques de téléphonie prolifèrent preuve en est que le marché a bien compris l’intérêt de la proximité dans le commerce .

Une autre finalité des transports est pour se rendre sur son lieu de travail. Là aussi une réflexion doit être menée : jusqu’à quelle distance est-il souhaitable, raisonnable, éthique de se rendre à son boulot ? Les francilienEs sont les championEs en cette matière puisqu’iels passent jusqu’à quatre heures dans les transports pour se rendre et revenir du boulot .

La réflexion sur l’emploi comme sur la consommation sont des enjeux cruciaux dans la réflexion sur les transports.

Il existe une troisième raison de déplacement qui est le tourisme mais là j’abandonne de peur de heurter des âmes sensibles.

Une conclusion à laquelle vous ne serez pas insensible cyclistes dans l’âme « Mais, mesurée en proportions, la gratuité totale n’aboutit qu’à marginalement diminuer la part modale de la voiture, alors qu’elle réduit sensiblement celle de la marche et fait chuter celle du vélo » (3). Toutefois les écarts ne sont que de 2 à 3 %. Sauf pour l’usage du vélo qui peut diminuer de 6 % mais l’échantillon est discutable.

Les questions de mobilité de déplacement doux, de ville bas carbone … sont des problèmes de ce que l’on appelle la « ville durable ». Et on constate des effets inattendus.

Les problématiques exprimées par les femmes sont ignorées

« L’une de nos enquêtes sociologiques (à Bordeaux) porte en particulier sur une opération de concertation autour des nouvelles mobilités urbaine organisée en 2012. Pendant six mois, cette démarche participative exemplaire a réuni des centaines de citoyens, experts, élus et responsables associatifs. Mais elle n’a mobilisé que 23 % de femmes, représentées par seulement 10 % du temps de parole et par 0 % d’experts. La faiblesse du temps de parole des femmes n’était pas due à des mécanismes d’auto-censure : les femmes  n’étaient tout simplement pas « prioritaires » aux yeux des présidents de séances ; des mesures quantitatives (temps de parole) et qualitatives (pertinence de l’intervention) le prouvent. » (7)

Quel rapport avec la gratuité ? Il réside dans deux faits .

L’un est dans la conception de la ville durable , avec l’abandon de la voiture les femmes verraient leurs corvées alourdies car hélas pour l’instant rien de changé, elles effectuent la plupart des tâches quotidiennes (accompagnement des enfants, des personnes âgées, courses).

L’autre est que le harcèlement dans la rue et les transports en commun apparaît, à Bordeaux comme ailleurs, si peu anecdotique et tellement systématique , 100 % de femmes en ont été victimes, qu’il justifie encore l’usage de la voiture ou du vélo.

Enfin si vous en avez pas encore marre je vous conseille la lecture de cette étude sur la gratuité des transports à Amiens (8)

En conclusions

Avant de réclamer la gratuité des transports il faut répondre à des questions.

Que produire ? Que consommer ? Quelle mobilité et pour quoi ? Quelle place pour la femme ?

Que de questions , elles montrent tout simplement que la gratuité des transports ne peut se réaliser que dans une société égalitaire , solidaire au moins une société qui a déjà répondu à au moins ces questions. précédentes

Ce sont des interrogations indissociables , primordiales pour la gratuité des transports.

Une solution serait une tarification sur mesure tenant compte des catégories sociales allant d’un plein tarif (pas excessif comme dans la métropole de Lyon) à la gratuité pour les plus démuni.e.s comme le propose la métropole de Lyon à partir du 1er Janvier

La gratuité ne doit pas être une incitation au déplacement (petite anecdote pour illustrer:les bus servent de lieux de rencontre pour les adolescents bon d’accord il faut leur en créer, on revient à une réflexion plus globale donc)

Pas de cris d’orfraies s’il vous plaît quand à la liberté de se déplacer

Gérard et Jean-Pierre membres de la NINA (ni ici ni ailleurs) LYON contre les centers parcs

Bibliographie

1 http://www.senat.fr/rap/r18-744/r18-744.htmlbus

2 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20190506/mi_gratuite.html

3 http://www.gratuite-transports-publics.ouvaton.org/documentation/debats/

5 https://www.citycle.com/15246-strasbourg-des-femmes-issues-de-limmigration-apprennent-lautonomie-par-le-velo/

6   Jean-Louis Sagot-Duvauroux En particulier dans son ouvrage De la gratuité, Desclée de Brouwer, 1995.

7 https://lejournal.cnrs.fr/billets/la-ville-durable-creuse-les-inegalites

8 http://heran.univ-lille1.fr/wp-content/uploads/Trp-TC-gratuits1.pdf